Publié le 17 janvier 2024–Mis à jour le 26 janvier 2024
Quand nous voulons franchir une rue alors qu’un véhicule s’y engage, nous réalisons un rapide calcul afin de déterminer si nous avons assez de temps pour la traverser ou non. Cette faculté a été étudiée jusque-là de façon indirecte par des approches non-invasives. Robin Baurès, professeur à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, et son équipe au Centre de recherche cerveau et cognition (CERCO, CNRS/UT3) ont réalisé des expériences sur des patients éveillés au cours de chirurgie du cerveau. Ils ont démontré qu’une partie du cortex pariétal droit était impliquée dans cette prise de décision. Leur étude a été publiée dans le Journal of neuroscience research de janvier.
« Est-ce que je peux m’engager et traverser en toute sécurité la route pour rejoindre le trottoir d’en face ou est-ce que j’attends ? ». Le temps de se poser cette question et l’occasion de franchir la rue s’en va en même temps que la voiture qui passe devant nous. Cette décision que nous prenons en un éclair dépend de notre capacité à estimer combien de temps met un véhicule avant d’arriver à notre niveau. Cette faculté, c’est la perception du temps de contact (TTC). Les structures cérébrales impliquées dans cette estimation et la décision de traverser ont principalement été étudiées par des méthodes non-invasives, offrant jusqu’à présent uniquement des corrélations indirectes.
Afin d’obtenir des certitudes, Robin Baurès et son équipe ont directement examiné les zones cérébrales soupçonnées d’être à l’origine du TTC lors de chirurgies d’ablation de tumeurs du cerveau, chez des patients maintenus éveillés pendant l’intervention. Une quarantaine de participants ont été évalués pour estimer leur perception du temps de contact avant leur opération. Ensuite, un second test a été réalisé durant la chirurgie en appliquant des stimulations électriques qui perturbent le traitement de l’information sur les régions cérébrales potentiellement induites dans cette capacité.
Ainsi, comparer les performances d’estimation du TTC avant et pendant l’opération permet de comprendre si les parties du cortex testées sont induites dans cette estimation.
« Les résultats ont montré que de petites zones du lobe pariétal droit près du sillon intra-pariétal étaient directement impliquées dans la décision de traverser la rue », explique le professeur des universités. « Cette partie du cerveau est également connue pour être à la base de la prédiction du mouvement d’un objet caché par un obstacle », comme l’approche d’une voiture.
Il est intéressant de noter qu’une influence indirecte des stimulations sur l’estimation du TTC a été constatée sur les régions localisée dans les réseaux linguistiques, moteurs ou attentionnels.
Selon Robin Baurès, « la corrélation avec le langage est assez inattendue. Il semble que couper l’accès à la parole prive les individus de leur capacité à percevoir le temps de contact. » En revanche, concernant les réseaux moteurs et attentionnels, « le lien est plus évident : dès lors qu’on perd le contrôle sur nos yeux ou qu’on ne peut plus se concentrer sur la scène visuelle, estimer le temps de collision devient impossible. »
Ces conclusions laissent entrevoir que ce réseau de petites zones, révélées par les stimulations, permet aux participants d’anticiper l'arrivée d’un objet, de préparer l'observateur à une collision imminente et de réagir pour se protéger ou s'éloigner de la trajectoire de l'objet. Les auteurs se demandent alors si ce réseau est spécifique à la perception du TTC ou s'il est également sollicité dans des tâches plus générales nécessitant une focalisation de l'attention. Des travaux supplémentaires seront nécessaires pour répondre à ces questions, notamment en comparant ces résultats avec des tâches attentionnelles, ne demandant pas d’estimer un temps de contact.
Une courte vidéo de l’expérience lors de l’opération est disponible. Elle contient des éléments visuels qui peuvent heurter la sensibilité des spectateurs.
Référence Should I stay or should I go? The cerebral bases of street-crossing decision
Robin Baurès, Solène Leblond, Andrea Dewailly, Marta Cherubini, Lakshmi Devi Subramanian, Joseph K. Kearney, Jean Baptiste Durand, Franck Emmanuel Roux Journal of neuroscience research, 8 décembre 2023.