Grâce à des fragments fossilisés de mâchoires de bébés datant de deux millions d’années, des scientifiques redessinent le début de l’histoire du genre humain. L’étude, menée par José Braga, professeur à l’Université de Toulouse au sein du Centre d’anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT – CNRS/Université de Toulouse) et Jacopo Moggi-Cecchi (Université de Florence), a été publiée le 3 juin dans Nature communications. Elle dévoile une diversité et une complexité à l’aube du genre Homo bien plus grandes qu’on ne le pensait.
Deux mandibules et un maxillaire. C’est tout ce qu’il a fallu aux auteurs de l’étude pour redessiner le début de l’histoire du genre humain. Ces fragments, appartenant à des nourrissons décédés il y a près de deux millions d’années, ont été exhumés en Afrique, berceau de l’humanité. L’un d’eux provient de la basse vallée de l’Omo, en Éthiopie, et a été attribué à Homo habilis. Les deux autres ont été découverts en Afrique du Sud : une mandibule retrouvée à Kromdraai et un maxillaire issu du site de Drimolen, tous deux associés à une espèce proche d’Homo erectus.
Ces découvertes sont cruciales car les fossiles de nourrissons bien conservés sont extrêmement rares, alors qu’ils sont essentiels pour comparer l’enfance des premiers humains à celle de leurs plus proches parents australopithèques, détaille José Braga.
Ils sont d’autant plus précieux que ces jeunes représentants du genre Homo sont beaucoup moins préservés que ceux d’autres espèces contemporaines comme Paranthropus robustus, alors qu’ils ne sont pas plus fragiles. Comprendre cette disparité de représentation est essentiel pour interpréter correctement les données fossiles disponibles. Elle pourrait être liée à des différences de comportements, ou de modes de vie de ces espèces anciennes. Ces nouveaux fossiles changent la donne puisqu’ils permettent d’entrevoir comment les très jeunes humains d’il y a deux millions d’années grandissaient, révélant des informations précieuses sur leur espèce.
Légende - Reconstitution en 3D des fossiles de mandibules et de maxillaire. En haut, des fossiles appartenant à une espèce proche d’Homo erectus. En bas, à Homo habilis. Crédit : José Braga.
« Les différences dans les structures dentaires et osseuses sont visibles dès les premiers mois de la vie », souligne le professeur d’anthropobiologie de l’Université de Toulouse, qui dirige les fouilles archéologiques à Kromdraai et a participé à celles de Drimolen en Afrique du Sud en 1997 et 1998. Ce constat révèle que différentes espèces humaines suivaient, dès la naissance, des trajectoires de développement distinctes. Une diversité précoce qui suggère que plusieurs branches évolutives étaient déjà bien différenciées au sein du genre Homo.
Cette complexité remet en question l’image d’un arbre évolutif linéaire ou simplifié. Au contraire, Jacopo Moggi-Cecchi, coauteur de l’étude et professeur à l’université de Florence, estime que cet arbre « comportait plus de branches qu’on ne le pensait auparavant. » Les données soutiennent l’hypothèse d’un ancêtre commun à toutes les espèces humaines très ancien, probablement avant le début de l’ère Quaternaire, lorsque les australopithèques, des parents bipèdes plus primitifs ayant précédé Homo, foisonnaient en Afrique.
Légende - Diversité des espèces d'hominidés découvertes en Afrique, classées selon leur période dans le temps. En vert, celles appartenant au genre Homo.
En combinant l’analyse des structures dentaires et crâniennes, les chercheurs démontrent l’importance d’une approche multidisciplinaire pour mieux comprendre l’évolution humaine. Ces nouvelles découvertes contribuent à une vision plus nuancée des origines du genre Homo, suggérant que les racines de l’humanité sont à la fois plus anciennes, plus diversifiées et plus ramifiées que ce que l’on croyait jusqu’à présent.
Référence : Infant craniofacial diversity in Early Pleistocene Homo
José Braga, Jacopo Moggi-Cecchi. Nature communications, juin 2025